Comme le dit très justement Olivier Ertzscheid, maître de conférence en sciences de l’information sur son blog : “le vertige des grands nombres est constitutif de la statistique du web, formidable écosystème facilitateur et multiplicateur de la moindre interaction, de la moindre navigation, de la moindre publication, de la moindre attention portée. Les chiffres de Facebook sont donc pareillement vertigineux, comme sont vertigineux ceux de Google, de Youtube et de l’ensemble de ces mégalopoles virtuelles dans lesquelles se croisent, chaque jour, deux milliards d’internautes”.
Bien sûr, par essence, le numérique est une machine à produire du chiffre. Chaque appel de page, chaque interaction produisent une démesure de métriques. Mais dont la valeur nous échappe…
“Le recours aux grands nombres” est “constitutif de la mythologie de l’internet” (au sens des Mythologies de Barthes), explique encore Olivier Ertzscheid. Le numérique s’affirme face au réel par le vertige de ses métriques qui semblent renvoyer au réel le miroir de son insignifiance.
Nous passons des nombres de livres achetés aux nombres de livres téléchargés, nous passons du nombre de téléspectateurs aux nombres de vidéos vues. Nous passons des partisans qui vont coller des affiches à la foule anonyme des signataires de pétitions en ligne. Nous passons des utilisateurs d’un service à ceux qui s’y sont enregistrés une fois… La croissance des métriques cache une dilution de sens.
Le problème c’est que les métriques de l’un et de l’autre ne sont pas comparables. Les chiffres d’achat d’un livre ne sont pas comparables au chiffre de téléchargement du même livre au format numérique. Comme le dit très bien l’historien André Gunthert : “la signification d’un nombre s’établit par comparaison” qui est lui-même “le résultat d’un long travail de familiarisation et de socialisation qui prend en compte tout un écosystème”.
Le monde réel a su créer de nombreuses métriques pour s’évaluer. Nombre de journaux imprimés, nombre d’entrées au théâtre, nombre de téléspectateurs d’une émission, nombre d’entrées d’un film… Autant de métriques auxquelles les industries culturelles nous ont habitués, c’est-à-dire qu’on sait à peu près décoder, comprendre. Les nouvelles métriques sont d’autant plus fascinantes qu’on les comprend mal et que les compteurs incertains du web, proposés le plus souvent par les services eux-mêmes, avec la plus grande obscurité possible, semblent fascinants à mesure qu’ils s’égrainent.
On a toujours l’impression de connaître ce qu’on mesure. Or, nous avons besoin de comprendre les métriques du web. De nous doter d’outils de comparaison. De prendre du recul. De recadrer les chiffres qui défilent sur nos écrans. De les mettre en perspective. Nous avons également besoin de les apprécier par rapport au réel. Mais plus encore il nous faut dépasser les métriques basiques pour aller plus avant dans la compréhension des usages, sinon, nous risquons juste d’être précipité dans une surenchère sans fin et sans issue, où ce qui se délitera assurément, sera surtout notre compréhension.
Continuer à se présenter par de l’objectivation chiffrée est surtout révélateur d’un grand besoin de reconnaissance. L’internet aurait-il encore quelque chose à prouver ?
Hubert Guillaud
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